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Des compétences en littératie pour tous, est-ce possible?

Ce n’est plus un secret : les compétences en littératie sont essentielles à la réussite et se trouvent à la base de tous les apprentissages.

Tout au long de leur parcours scolaire, nous poursuivons les buts suivants : 

  •  Que nos élèves puissent lire et écrire une variété de textes d’une complexité croissante, tout en effectuant des réflexions de haut niveau qui deviendront de plus en plus sophistiquées; 
  •  Que nos élèves développent le goût de lire et de communiquer à l’oral et à l’écrit, qu’ils se sentent compétents à le faire et qu’ils deviennent des lecteurs et des scripteurs à vie.

Nous savons quoi (les compétences à développer), nous savons pourquoi (l’objectif visé)… mais savons-nous comment? Comment s’assurer que ces compétences complexes en littératie soient acquises par tous les enfants dans une école? Lorsque nous examinons les statistiques nationales, les taux de réussite varient nettement d’une province à l’autre. Par exemple, les « Résultats canadiens du Programme international de recherche en lecture scolaire » (Conseil des ministres de l’Éducation Canada, 2012) indiquent que dans la plupart des provinces participantes, les élèves inscrits dans le système scolaire de langue majoritaire ont un rendement significativement supérieur à celui des élèves inscrits dans le système scolaire de langue minoritaire.

Les recherches sont unanimes : le facteur le plus important sur lequel nous avons un contrôle et qui est associé à la réussite des élèves, c’est la qualité de l’enseignement en salle de classe. Le deuxième facteur le plus important, c’est le leadership de la direction scolaire. Mais que veut-on dire exactement par « qualité de l’enseignement »? Quelles sont les actions communes des équipes scolaires où un grand nombre d’élèves « réussissent » année après année? Est-ce que ces actions peuvent contrer le fait que les élèves des écoles de milieu minoritaire sont plus à risque de ne pas développer de bonnes compétences en littératie?

L’expérience d’une école de l’Île-du-Prince-Édouard 

À l’École-sur-Mer, comme dans la plupart des autres écoles françaises de l’Île-du-Prince-Édouard, la grande majorité des élèves a un ou deux parents « ayant-droit » de langue anglaise et « vit » en anglais à la maison et à l’extérieur du foyer. Pour plusieurs élèves, leur seul espoir de développer de solides compétences de littératie en français, c’est l’école.

Il y a 7 ans, l’École-sur-Mer accueillait une soixantaine d’élèves de la 1re à la 6e année, dont 55 à 60 % atteignaient les bases en lecture. Présentement, parmi les 115 élèves de la maternelle à la 8e année, près de 80 % des élèves lisent et écrivent des textes qui répondent aux attentes. Les données internes de l’école ont été confirmées pendant trois années consécutives par les données externes obtenues de provinces canadiennes ayant un bon taux de réussite.

Consécration : la majorité des élèves de l’École-sur-Mer affirment aimer lire et écrire. Bien que le travail ne soit de toute évidence pas terminé (nous visons 100 % de réussite), il reste que ces progrès sont très encourageants. Une chose est certaine, ils ne sont pas le fruit du hasard! Une direction scolaire, des enseignants, une enseignante du programme d’Intervention préventive en lecture-écriture (IPLÉ), un mentor en littératie et des parents travaillant en collaboration, l’alignement entre les actions du ministère et de la commission scolaire, autant d’éléments qui figurent parmi les plus importants associés à cette amélioration.

Un des éléments associés aux écoles efficaces : l’évaluation au service de l’apprentissage

L’approche préconisée dans nos écoles comprend les éléments associés aux écoles où un grand nombre d’élèves réussit. Les études et les œuvres des chercheurs et des auteurs tels que Allington, Fullan, Sharratt, Fountas et Pinnel, Marzano, Giasson ont été des sources d’inspiration depuis quelques années. 

Nous désirons traiter ici d’un des facteurs de réussite sur lesquels les chercheurs et notre pratique sont unanimes : le suivi très étroit de chaque élève par le biais de l’évaluation au service de l’apprentissage (pour l’apprentissage et comme apprentissage) afin de guider le prochain enseignement, et ce sans mettre de côté l’évaluation de l’apprentissage à différents moments dans l’année.

Pour réaliser ce suivi de chaque élève, les enseignantes de notre province ont participé à du perfectionnement générique et en cours d’emploi afin de comprendre les lecteurs, les textes, la pédagogie. Les cibles en lecture sont claires. Les enseignantes comprennent les connaissances et les compétences associées aux lecteurs efficaces. Elles possèdent des outils et des pratiques qui leur permettent de réfléchir à leurs lecteurs par rapport à leurs connaissances et à leurs compétences, sur une base quotidienne ou ponctuelle.

Les outils comprennent : 

  •  La fiche d’observation individualisée; 
  • Les échelles pour mesurer les attitudes, la fluidité et la compréhension littérale, interprétative et analytico-critique;
  • Les textes gradués;
  • Les critères de réussite clairs qui sont co-construits avec les élèves afin de permettre l’auto-réflexion de l’enfant et la rétroaction de l’enseignante et des pairs.

Le projet de littératie de l’École-sur-Mer

C’est en examinant les profils en lecture sur une base continue que l’équipe de l’École-sur-Mer a identifié le plus grand défi auquel faisaient face les élèves qui n’atteignaient pas les bases fixées. En effet, lorsque nous avons examiné le profil de ces élèves, nous nous sommes rendu compte que les élèves lisaient avec précision et fluidité, qu’ils appliquaient les stratégies de lecture efficaces. Cependant, lorsqu’ils étaient confrontés à des livres ayant une certaine complexité, ils n’arrivaient plus à saisir les idées importantes et n’étaient plus engagés. Le contenu des livres les dépassait : un vocabulaire avancé, des structures de phrases complexes, un langage figuré.

Les enseignantes ont réalisé qu’elles n’enseignaient pas le langage des livres. Nous nous attendions à ce que les élèves puissent comprendre ce langage tout simplement par le contexte. La lecture à voix haute étant pratiquement inexistante dans leurs familles, pas étonnant que nos élèves aient obtenu de piètres résultats.

Armée de ce constat, l’équipe a pris action. Les enseignantes ont réalisé qu’elles devaient mieux connaître leurs livres. À partir de ce moment, elles ont lu les livres qui étaient dans leurs classes et ont pu identifier les éléments qui rendaient le texte plus difficile. Elles constataient par exemple que dans les livres de Dominique Demers et d’Alain Bergeron, nous retrouvions beaucoup de langage figuré. Elles savaient pourquoi la collection « Le journal d’Alice » était plus facile à comprendre que la collection « Amos Daragon ». Nous étions conscients que les « Savais-tu »,constituaient un genre hybride, que les livres GB+ se rapprochaient du langage des enfants, que les « Tatsu Nagata » développaient leurs connaissances générales.

Les livres, pour la lecture à voix haute, ont donc été choisis judicieusement et lus tous les jours afin d’exposer les élèves à un langage plus riche. Avant, pendant et après la lecture, chaque enseignant en profitait toujours pour clarifier quelques mots de vocabulaire, certains éléments de langage figuré, sans pour autant perdre le plaisir de l’histoire. Ce vocabulaire était par la suite répertorié, discuté et réinvesti à chaque occasion possible.

Nous avions également constaté que les parents cessaient de faire la lecture à voix haute à leurs enfants dès qu’ils étaient capables de lire quelque peu par eux-mêmes. Pour les quelques parents qui parlaient français, nous avions pris l’habitude, pour la lecture à voix haute, d’envoyer des livres à la maison ou d’instituer des petits clubs de lecture parent-enfant pour les plus âgés.

Résultats

À chaque niveau scolaire, chaque année, les élèves bâtissent graduellement leurs compétences grâce aux évaluations qui ont été judicieusement utilisées pour améliorer l’enseignement et grâce au personnel qui a utilisé ses données pour comprendre ce qui ne fonctionnait pas dans l’école.

Aujourd’hui, chaque enseignante suit ses élèves et dès que le progrès se fait attendre, des actions s’ensuivent : l’enseignante et les autres membres de l’équipe tentent de résoudre les problèmes. Les parents sont toujours invités à faire partie des discussions. Parfois nous devons offrir plus de lectures guidées ou d’enseignement ciblé d’un concept, d’autres fois nous offrons du tutorat additionnel. Les solutions varient selon les besoins identifiés.

Les élèves bâtissent graduellement leurs compétences grâce aux évaluations qui ont été judicieusement utilisées pour améliorer l’enseignement

Puisque chaque enseignante suit ses lecteurs de près et que des traces de ses observations sont gardées par le biais du profil du lecteur, il devient facile d’examiner les données de toutes les classes afin de prendre les meilleures décisions pour l’école :

  • Qui participera au programme d’Intervention préventive lecture-écriture?
  • Qui recevra de l’appui additionnel pendant l’été?
  • Quelles collections devrions-nous acheter pour stimuler le goût de lire?
  • Pourrions-nous combiner deux classes?

Est-ce que tout est parfait? Est-ce que tout est facile? Non et non. Mais aussi longtemps que les décisions et les actions de chaque enseignante et de l’équipe demeureront centrées sur les besoins des élèves par rapport aux normes établies, nous nous rapprocherons de ce rêve de voir TOUS les enfants développer des compétences solides en littératie. C’est l’évaluation continuelle ce que les élèves auront appris qui continuera de guider nos décisions, de PERSONNALISER nos actions, cette notion puissante qui nous rappelle que nos décisions affectent la vie de nos propres enfants, nos nièces, nos voisins, nos petits-enfants.

Première publication dans Éducation Canada, juin 2013

 

RECAP -Literacy skills are essential to success and fundamental to all learning. At École-sur-Mer – as with the other five French-language schools on Prince Edward Island – most students have one or two eligible English-language parents and “live” in English at home and in the community. For many students, their only hope of developing solid French literacy skills is their school. Seven years ago, just 55 to 60 percent of students reached the basic reading benchmark. Now, close to 80 percent of students read and write texts at the expected level. Several important elements have contributed to this improvement, including collaboration between all stakeholders (school management, teachers, a specialist in the preventive intervention program for reading and writing, a literacy mentor, and parents) and consistency between the actions of the education department and the school board.

Apprenez-en plus sur

Diane Bernier-Ouellette

Diane Bernier-Ouellette est coach-mentor en littératie à l’École-sur-Mer à Summerside ainsi que coordonnatrice de l’équipe provinciale en littératie au ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance de l’Île-du-Prince-Édouard. Elle est également chargée de cours à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard.

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