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Design technopédagogique, Évaluation

Cerveau, apprentissage et enseignement

Mieux connaître le cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner?

Il y a quelques années, la pertinence de s’intéresser au cerveau en éducation était plutôt limitée. Intuitivement, les chercheurs, les enseignants et les autres intervenants du milieu de l’éducation se doutaient bien de l’existence d’un lien important et profond entre le cerveau et les apprentissages scolaires. Cependant, ce lien n’était ni clair ni appuyé sur des connaissances scientifiques solides, ce qui rendait les retombées éducatives des recherches sur le cerveau somme toute peu nombreuses et fragiles.

Aujourd’hui, par contre, grâce aux avancées considérables de l’imagerie cérébrale et des neurosciences en général, cette situation a considérablement changé. Dans cet article, nous présentons trois grandes découvertes qui permettent non seulement d’établir des ponts plus solides entre le cerveau et l’éducation, mais aussi d’appuyer l’hypothèse selon laquelle mieux connaître le cerveau des élèves peut nous aider à mieux leur enseigner. Ces trois découvertes portent sur les effets de l’apprentissage sur le cerveau, l’influence de l’architecture cérébrale sur l’apprentissage et l’impact de l’enseignement sur le développement du cerveau.

Première découverte : l’apprentissage modifie l’architecture du cerveau

La première découverte concerne la relation entre apprentissage et cerveau. Pendant longtemps, nous avons cru que le cerveau était un organe fixe qui se développait durant la grossesse et la petite enfance sous l’influence de facteurs essentiellement génétiques, mais qui demeurait relativement stable par la suite.

Nous savons aujourd’hui que cela est en bonne partie erronée. En effet, bien qu’il soit vrai que le cerveau est particulièrement malléable au cours de la petite enfance, le cerveau fait également preuve d’une étonnante plasticité tout au long de la vie[1]. Lorsque l’on apprend, le cerveau change. Plus précisément, les connexions entre les neurones sont modifiées par l’apprentissage : de nouvelles connexions peuvent être créées et des connexions existantes peuvent se défaire, se renforcer ou s’affaiblir. Le cerveau est donc un organe non pas fixe, mais dynamique, qui modifie son architecture cérébrale à chaque instant pour s’adapter à son environnement.

Le fait que l’apprentissage modifie le fonctionnement et l’architecture du cerveau est une condition sine qua non à l’établissement d’un lien clair entre le cerveau et l’éducation. Effec-tivement, quelle pertinence y aurait-t-il à s’intéresser à la relation entre le cerveau et l’éducation si l’apprentissage ne modifiait ni le fonctionnement ni l’architecture du cerveau? L’imagerie cérébrale nous permettrait bien de voir l’activité cérébrale associée à des tâches scolaires comme lire ou compter, mais ne permettrait pas de comprendre comment le cerveau développe ces compétences. Parce que l’apprentissage modifie le cerveau, nous pouvons identifier à l’aide de l’imagerie cérébrale les effets des apprentissages scolaires sur le cerveau et ainsi établir un premier pont entre le cerveau et l’éducation.

Deuxième découverte : l’architecture du cerveau influence l’apprentissage

Si la première grande découverte discutée précédemment met en lumière une condition essentielle pour établir des liens entre cerveau et éducation, une deuxième grande découverte mène à penser que mieux connaître le cerveau peut nous donner des indices pour mieux enseigner aux élèves.

Cette deuxième découverte concerne l’influence de l’architecture cérébrale sur l’apprentissage. Un nombre croissant de chercheurs est d’avis que l’architecture cérébrale, c’est-à-dire la façon dont les neurones sont interconnectés les uns aux autres, influence et contraint de façon significative la façon dont certains apprentissages scolaires peuvent prendre place dans le cerveau.

Lorsqu’il apprend à lire, par exemple, l’élève possède déjà une architecture cérébrale bien définie. Il possède notamment des régions cérébrales capables de reconnaître les objets (le cortex occipito-temporal gauche et le cortex occipito-temporal droit situés dans la partie postérieure du cerveau) et des régions responsables de la compréhension orale, de la production de la parole et du sens des mots (situées principalement dans le lobe temporal gauche chez la plupart des élèves). L’apprentissage de la lecture s’appuie sur ces régions et cette architecture cérébrale préexistante.

Pour lire, l’élève doit d’abord apprendre à reconnaître les objets visuels que sont les lettres et les mots. Les cortex occipito-temporaux gauche et droit sont particulièrement adaptés à cette tâche, puisqu’ils sont, en grande partie, responsables de l’identification des objets en général. Cependant, puisque les lettres et les mots représentent une nouvelle catégorie d’objets, il faudra tout de même que l’élève modifie ses connexions neuronales pour apprendre à lire. Ce processus par lequel une région cérébrale est modifiée pour acquérir de nouvelles compétences est appelé le recyclage neuronal[2]. Il est intéressant de noter une première contrainte à l’apprentissage qui dépend de l’architecture cérébrale initiale de l’apprenant : puisque le cerveau reconnaît naturellement les objets indépendamment de leur orientation, il s’avère initialement difficile pour les élèves de distinguer les lettres p, q, b et d qui sont traitées spontanément par les cortex occipito-temporaux gauche et droit comme un seul objet présenté selon différentes orientations.

Une meilleure connaissance de l’architecture cérébrale des élèves et de l’impact de différents types d’enseignement sur le cerveau peut nous apporter des indices pour mieux apprendre et enseigner.

Mais lire, ce n’est pas seulement reconnaître des lettres et des mots, c’est aussi, et peut-être surtout, associer un sens à ce qui est lu. L’élève doit non seulement recycler une partie de son cerveau dédiée à l’identification d’objets en général, mais doit également établir des connexions entre cette région, qui est responsable de la reconnaissance des objets, et le lobe temporal gauche contenant, en quelque sorte, le dictionnaire mental du sens des mots acquis lors de l’apprentissage de la parole. Comme le cortex occipito-temporal gauche est physiquement plus près des régions cérébrales associées au langage, il semble plus prédisposé que celui de l’hémisphère droit à assurer la fonction de reconnaissance des lettres et des mots. Et en effet, plusieurs études confirment que la capacité à lire implique le cortex occipito-temporal gauche, et non le droit.

Ceci nous permet de mettre en lumière une autre contrainte qu’impose l’architecture cérébrale sur l’apprentissage de la lecture : puisque le cortex temporo-pariétal, une région associée au traitement des sons du langage, est situé particulièrement près du cortex occipito-temporal, il constitue certainement une porte d’entrée privilégiée aux réseaux de neurones liés au langage qui contiennent notamment le sens des mots. Cette proximité physique explique probablement pourquoi les approches grapho-phonétiques d’enseignement de la lecture s’avèrent souvent efficaces : l’activation simultanée de neurones liés à l’identification des lettres et des graphèmes et de neurones liés à l’identification des sons du langage mène à l’établissement de connexions entre le cortex occipito-temporal gauche et le cortex temporo-pariétal gauche.

Un autre exemple appuie l’idée selon laquelle l’architecture cérébrale initiale de l’apprenant influence de façon importante ses apprentissages. Plusieurs recherches en éducation ont montré que les élèves possèdent souvent des conceptions non scientifiques sur plusieurs phénomènes naturels qui sont particulièrement difficiles à faire évoluer. Ils croient par exemple que, peu importe la résistance de l’air, les objets plus lourds tombent plus rapidement ou encore qu’un seul fil électrique connectant une source d’énergie électrique à une ampoule est suffisant pour que cette dernière s’allume.

Une étude récente[3] impliquant l’imagerie cérébrale suggère que les conceptions non scientifiques des élèves ne disparaissent peut-être jamais de leur cerveau, parce qu’elles découleraient d’intuitions fondamentales inscrites dans le cerveau sous la forme de réseaux de neurones très solidement établis et qui ne peuvent sans doute pas être modifiés. Les résultats de cette étude montrent que des étu-diants avancés dans leurs études en sciences doivent avoir recours à des régions cérébrales liées à l’inhibition (dont le cortex préfrontal ventrolatéral) pour répondre de façon scientifique à des questions portant sur des conceptions non scientifiques fréquentes. L’inhibition est la capacité du cerveau à contrôler des intuitions, des stratégies ou des habitudes spontanées en relâchant des neurotransmetteurs inhibiteurs qui viennent nuire à l’activation des réseaux de neurones responsable de ces intuitions, stratégies ou habitudes.

Comme dans l’exemple de l’apprentissage de la lecture, cette étude portant sur l’apprentissage des sciences appuie l’idée selon laquelle l’architecture cérébrale de l’apprenant joue un rôle déterminant dans l’apprentissage parce qu’elle vient influencer et contraindre la façon dont les apprentissages peuvent prendre place dans le cerveau. Au cours des prochaines années, il est à prévoir que des études permettront d’identifier les facteurs pouvant contribuer au développement de l’inhibition; il sera alors sans doute possible d’aider les élèves à mieux comprendre certains concepts scientifiques en développant leur capacité à contrôler leurs intuitions fondamentales qui mènent à un raisonnement non scientifique.

Troisième découverte : l’enseignement influence les effets de l’apprentissage sur le cerveau

Très liée à la découverte précédente se trouve une troisième grande découverte, plus récente et encore plus importante pour le domaine de l’éducation : l’enseignement influence les effets de l’apprentissage sur le cerveau.

Savoir que l’apprentissage modifie l’architecture du cerveau et que l’architecture cérébrale influence l’apprentissage est certes très intéressant pour le domaine de l’éducation, mais ce serait de peu d’utilité si les enseignants et les autres intervenants du domaine de l’éducation ne pouvaient pas, par les choix pédagogiques qu’ils font, avoir un effet sur la plasticité, le recyclage neuronal et la capacité d’inhibition de leurs élèves.

Une étude[4] portant sur deux façons d’enseigner la lecture est particulièrement éloquente à ce sujet. Elle montre que le fait d’enseigner en orientant l’attention des apprenants vers les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes ou vers l’image globale du mot (sans porter attention aux graphèmes) peut avoir une incidence dramatique sur le fonctionnement cérébral des élèves. Les résultats de cette étude montrent en effet que les personnes recevant un enseignement grapho-phonétique mobilisent davantage leur cortex occipito-temporal gauche (région liée à l’expertise en lecture et qui, rappelons-le, semble pouvoir se connecter plus aisément aux régions du langage à cause de sa proximité spatiale avec ces dernières), alors que les personnes recevant un enseignement portant sur l’image globale du mot mobilisent au contraire davantage leur cortex occipito-temporal droit (une région souvent liée aux difficultés en lecture et qui est relativement éloignée des régions associées au langage).

Un autre étude[5] montre également que le type d’enseignement privilégié, et plus particulièrement le fait de prévenir les apprenants de l’existence de pièges et de leur apprendre à identifier les réponses tentantes, mais incorrectes, a un impact sur le fonctionnement cérébral et sur la capacité à recourir à l’inhibition pour corriger des erreurs fréquentes. Comme la précédente, cette étude montre que la façon d’enseigner peut avoir une influence importante sur le fonctionnement et le développement du cerveau.

Mieux connaître le cerveau pour mieux enseigner

Mieux comprendre le cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner aux élèves? Les trois découvertes présentées dans cet article appuient cette idée : une meilleure connaissance de l’architecture cérébrale des élèves et de l’impact de différents types d’enseignement sur le cerveau peut nous apporter des indices pour mieux apprendre et enseigner.

Malgré ces découvertes importantes, il convient tout de même de demeurer prudent quant aux retombées pédagogiques pouvant découler des recherches sur le cerveau. En effet, depuis quelques années, de plus en plus de livres et programmes d’intervention revendiquent une pédagogie fondée sur le cerveau « brain-based education ». Malheureusement, ces livres et ces programmes, souvent populaires auprès des enseignants, contiennent souvent des neuromythes, c’est-à-dire des croyances non scientifiques portant sur le fonctionnement du cerveau. Dès qu’il est question de styles d’apprentissage, de la dominance hémisphérique (cerveau gauche / cerveau droit), du fait que les élèves n’utilisent que 10 % de leur cerveau ou de Brain Gym, méfiez-vous[6]!

Une chose est certaine cependant : le cerveau de tous les élèves fait preuve de plasticité. Les difficultés scolaires des élèves ne devraient donc pas être perçues comme des fatalités, mais plutôt comme des défis à relever par des élèves dont le cerveau est capable de changer et de s’améliorer par l’apprentissage. Une autre chose est certaine : les enseignants sont importants. Par les choix pédagogiques qu’ils font chaque jour, les enseignants peuvent aider les élèves à développer les connexions neuronales qui leur permettront de lire, écrire, compter et résoudre toutes sortes de problèmes. Ce constat, des plus positifs, vient cependant avec une grande responsabilité : les enseignants et les systèmes éducatifs doivent tout faire pour offrir un enseignement adapté au fonctionnement et à l’architecture du cerveau des élèves.

Illustration: Dave Donald

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2014

*EXPLOREZ LA NOUVELLE ÉDITION D’ÉDUCATION CANADA, PORTÉE PAR VOICED RADIO (MARS 2022)

RECAP – In recent years, three major discoveries have reinforced the relevance of neuroscience research in education. The first is that learning changes the architecture of the brain. It is therefore possible to use brain imaging to identify brain changes associated with school learning. The second is that the architecture of the brain influences learning. Consequently, a better knowledge of students’ brain architecture could help us understand the biological constraints related to their learning. The third discovery is that teaching influences the brain. Thus, two types of teaching may have different effects on the development of students’ brains. These three findings support the idea that better knowledge of students’ brains can provide clues to help us teach better. (To read the full article in English, see p. 48.)


[1] OCDE. (2007). Comprendre le cerveau : naissance d’une nouvelle science de l’apprentissage. Paris: Éditions de l’OCDE.

[2] Dehaene, S., & Cohen, L. (2007). Cultural recycling of cortical maps. Neuron, 56(2), 384-398. doi: 10.1016/j.neuron.2007.10.004.

[3] Masson, S., Potvin, P., Riopel, M., & Brault Foisy, L.-M. (2014). Differences in brain activation between novices and experts in science during a task involving a common misconception in electricity. Mind, Brain, and Education, 8(1), 37-48. doi: 10.1111/mbe.12043.

[4] Yoncheva, Y. N., Blau, V. C., Maurer, U., & McCandliss, B. D. (2010). Attentional focus during learning impacts N170 ERP responses to an artificial script. Developmental Neuropsychology, 35(4), 423 – 445. doi: 10.1080/87565641.2010.480918.

[5] Houdé, O., Zago, L., Crivello, F., Moutier, S., Pineau, A., Mazoyer, B., & Tzourio-Mazoyer, N. (2001). Access to deductive logic depends on a right ventromedial prefrontal area devoted to emotion and feeling: Evidence from a training paradigm. NeuroImage, 14, 1486-1492. doi: 10.1006/nimg.2001.0930

[6] Lafortune, S., Brault Foisy, L.-M., & Masson, S. (2013). Méfiez-vous des neuromythes! Vivre le primaire, 26(2), 56-58.

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Steve Masson

Steve Masson

Steve Masson is Professor at the Faculty of Education at Université du Québec à Montréal and Director of the Laboratory for Research in Neuroeducation.

Steve Masson est professeur à l’UQAM et lauréat du prix Pat Clifford 2013 de l’Association canadienne d’éducation.

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